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Code postal et justice environnementale

Si la COP26 a mis une chose en évidence, c’est bien qu’on ne lutte pas à armes égales contre les effets du changement climatique. Cela est flagrant lorsqu’on compare les pays entre eux. Par exemple, avec environ un tiers de son territoire sous le niveau de la mer, les Pays-Bas sont particulièrement vulnérables au réchauffement climatique. Bien qu’inquiété, le pays a les moyens de mettre en place des systèmes de protection côtière ultra sophistiqués pour contrer la montée des eaux. On ne peut en dire autant du Bangladesh qui va connaître le plus grand déplacement de réfugiés climatiques de l'histoire. Les inégalités sautent aussi aux yeux quand on s’intéresse à ce qui se passe à l’intérieur d’un même pays. On ne lutte pas à armes égales contre les effets de la pollution sur notre santé. C’est là que le code postal entre en jeu.

Photo : Julie Alicea / Flickr

« Le code postal est l'un des indicateurs les plus puissants de la santé et du bien-être aux États-Unis. Dans le monde réel, tous les codes postaux ne sont pas créés égaux. » Le Dr Robert D. Bullard est souvent décrit comme le père de la justice environnementale aux États-Unis. Son pays, avance-t-il, est à bien des égards un microcosme de ce qui se passe au niveau mondial.


Récemment, le média américain indépendant ProPublica a mis en ligne une carte des États-Unis, résultat de l’analyse de cinq années de données modélisées de l'Environmental Protection Agency (EPA). On y recense les lieux où sont concentrées les installations industrielles qui émettent une pollution atmosphérique dangereuse. Cette carte identifie plus de 1000 points chauds toxiques à travers le pays. Elle révèle qu'environ 250 000 personnes vivant dans ces zones pourraient être exposées à des niveaux de risque de cancer excessifs et que l'EPA juge inacceptables.


Sans surprise, l’allée du cancer figure sur cette carte.


L’allée du cancer

Cancer Alley désigne un couloir de près de 130 kilomètres qui longe le fleuve Mississippi en Louisiane. De Bâton-Rouge jusqu’à la Nouvelle-Orléans, on compte plus de 125 usines pétrochimiques, de part et d’autre du fleuve.


C’est justement la Louisiane qui a été reconnue comme l’État où l'air est le plus toxique des États-Unis.


Au cœur de l’allée du cancer se trouve la communauté de Reserve, où le risque de cancer dû à la toxicité de l'air est 50 fois supérieur (1505 pour un million) à la moyenne nationale (30 pour un million). C’est le taux le plus élevé de tous les États-Unis. Dans cette communauté, plus de 50 produits chimiques toxiques contribuent au risque de cancer, mais le chloroprène — principal composant du caoutchouc synthétique néoprène — en est responsable en grande majorité.

Denka, qui appartenait auparavant à DuPont, est l'une des entreprises les plus prospères de la zone (voir l'excellent film Dark Waters de Todd Haynes pour comprendre les ravages causés par cette compagnie). Cette société est le principal fabricant de caoutchouc synthétique néoprène. Il s'agit d'un matériau polyvalent utilisé pour produire des combinaisons de plongée, des housses d'ordinateur portable, des gaines d'isolation électrique et d’innombrables autres produits. L'usine de Louisiane est le seul endroit aux États-Unis à produire du néoprène.

L'allée du cancer n'est pas devenue ce qu'elle est aujourd'hui du jour au lendemain, et le mouvement vers cette zone n'a pas été motivé par des considérations purement économiques. L'industrie pétrochimique s'est installée dans la région dans les années 1970. Les usines, incapables d'aller ailleurs en raison des lois et des réglementations environnementales rigides établies par les autres États, ont trouvé une cible facile dans les terres de la Louisiane. D’ailleurs, dans les États qui ont des réglementations environnementales plus strictes, comme la Californie, il y a moins de décès dus au cancer à cause des polluants.


Les anciens ouvriers agricoles de Louisiane, restés sur place quand les usines ont commencé à s’implanter, n’avaient tout simplement pas la possibilité ou les moyens de déménager​. Qui sont ces habitants? Principalement des Afro-américains à faible revenu, exposés en raison de leur impuissance.


La justice environnementale

Le sujet de la justice environnementale n’est pas nouveau. Il y a trente ans déjà, le Dr Bullard (professeur d'environnementalisme et de sociologie à la Texas Southern University) publiait un livre devenu une référence en la matière : Dumping in Dixie : Race, Class and Environmental Quality. Il y exposait qu’être pauvre, ouvrier ou être « une personne de couleur » aux États-Unis signifie souvent supporter une part disproportionnée des problèmes environnementaux du pays.


La vulnérabilité environnementale n’est pas chose du hasard. Et l’allée du cancer n’est pas un cas isolé. Le Dr Bullard en sait quelque chose :


« Je vis au Texas, où de nombreuses communautés accueillent des installations pétrolières et gazières. Ces raffineries et ces usines pétrochimiques se trouvent dans des endroits où les gens sont invariablement pauvres, où ils ne bénéficient pas d’emplois ou de revenus, où ils ne bénéficient pas d’avantages fiscaux. Ils sont pollués. Ils deviennent pauvres. Ils tombent malades. »


Les cas flagrants d’injustices environnementales ne manquent pas. Aux États-Unis, on peut citer le cas bien connu de l’eau empoisonnée au plomb à Flint. Plus proche de nous, il y a le cas de la Basse-Ville de Québec. Des rapports ont révélé (il y a longtemps déjà) que le taux de concentration de polluants dans l’air et la fréquence des journées de pollution sont plus élevés en Basse-Ville qu’en Haute-Ville. Neuf ans après l’épisode de poussière rouge de 2012 à Québec, la Direction de santé publique (DSP) enquête toujours sur la qualité de l’air dans les quartiers Limoilou, Vanier et Basse-Ville.


Le jardin des autres

Il y a pourtant quelques victoires. En août dernier, le gouvernement américain a reporté le projet d'une usine de plastique de plusieurs milliards de dollars en Louisiane. Depuis des années, des militants faisaient campagne contre sa construction. La lutte environnementale, répètent-ils sans relâche, va de pair avec celle pour la justice sociale.


Pour l’atteindre, il faudra surveiller son propre jardin, mais aussi celui des autres.

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique

catherine.hebert.6@umontreal.ca

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