Comme bien d’autres chefs au Québec, Cynthia Sitaras s’est retrouvée à la tête d’une cuisine… sans bouche à nourrir. L’année passée, de retour d’un congé de maternité, elle trouve la cafétéria du siège social du groupe Jean Coutu à Varennes complètement déserte. En cause, on s’en doute, la pandémie et le télétravail. La cheffe avait l’habitude de préparer 300 repas par jour. Et maintenant? Elle en cuisine 3000 par semaine.
C’est grâce à l’initiative Les Cuisines Solidaires qu’elle s’est remise aux fourneaux. Retour sur une aventure qui s’achève.
Beaucoup, mais pas assez
« C’est bien, parce que ça nous tient occupées ! » lance Cynthia Sitaras en sortant du four une plaque brûlante croulant sous les pommes de terre, les oignons et les poivrons rôtis. Au menu cette semaine : omelette espagnole. Des sacs de 20 litres d’œufs liquides sont éventrés et des centaines de kilos de légumes sont coupés.
« Tout ça, ce sont des dons de producteurs. Nous, on assure la préparation : on reçoit les ingrédients et on suit la recette! »
C’est La Tablée des Chefs qui fournit la recette. Pas seulement à Cynthia, mais à des dizaines d’autres cuisiniers, dont ceux du Reine Elizabeth et du Château Frontenac.
Fondé en 2012 par Jean-François Archambault, La Tablée des Chefs est désormais bien connue du grand public. Sa mission : enseigner la cuisine aux jeunes du Québec, lutter contre le gaspillage alimentaire et nourrir les personnes dans le besoin. Chaque année, bon an mal an, l'organisme offre un million de repas à des personnes dans le besoin.
C’est beaucoup, mais en temps de pandémie, ce n’était pas assez. J-F Archambault, qui n’en est pas à sa première innovation à impact social, imagine alors Les Cuisines Solidaires.
Un projet fou parce qu’il fallait des chefs et leurs brigades, mais aussi des aliments et des emballages. « C’est là que tu commences à appeler tous tes contacts », a expliqué l’entrepreneur de 45 ans à l'Actualité.
Depuis que les restaurants ont fermé leurs portes, des milliers de kilos de denrées dorment dans les entrepôts. Les producteurs répondent donc à l’appel. Les chefs aussi : plus de cent cuisiniers se mobilisent partout dans la province. Enfin, le Réseau des banques alimentaires du Québec s’associe au projet pour distribuer les repas à des centaines d’organismes.
Grâce à l’aide d’urgence du gouvernement provincial et des dons privés, les cuisiniers sont rémunérés pour se remettre au travail. Ils reçoivent 1$ par portion cuisinée.
Le défi de ne rien perdre
« Chaque semaine, on reçoit des légumes, de la volaille, du porc, des œufs, etc. » nous dit Cynthia en pointant la demi-tonne de patates entreposées dans son frigo walk-in. Pour la cheffe et son bras droit, Stéphanie Gagné, le plus grand défi a été de stocker et de gérer des milliers de kilos d’aliments, sans perte.
Car il faut coordonner la préparation, la cuisson et la congélation des repas qui sont cueillis deux fois par semaine par une banque alimentaire.
Une idée pérenne?
Le projet ne devait durer que quelques semaines. Il s’est finalement poursuivi pendant toute la pandémie. La crise aura été porteuse d’initiatives selon la professeure Geneviève Mercille, du Département de nutrition de l’Université de Montréal. « Par exemple, des gens se sont proposés pour faire des livraisons à vélo, et des employés de la Ville pour livrer de la nourriture. »
L’idée d’une cuisine solidaire centrale – et permanente – a déjà germé dans la tête de Jean-François Archambault. Il planche aussi sur un projet de reffetorio, un restaurant pour personnes en situation d’itinérance, à l’instar de celui fondé par Massimo Bottura, le chef de renommée internationale. En 2015, Bottura avait proposé à 60 de ses confrères de se joindre à lui pour détourner des poubelles les aliments « perdus » de l’Exposition universelle de Milan.
Pour Cynthia Sitaras, l’aventure des Cuisines Solidaires prendra fin au cours des prochaines semaines. Mais le sentiment du devoir accompli, lui, est là pour rester.
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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