Pourquoi inclure des femmes à tous les niveaux de la recherche médicale mènerait à des innovations plus responsables ?
Dans le domaine de la santé, une innovation n’attend pas l’autre, et celles-ci se bousculent à un rythme effréné : génétique, intelligence artificielle, etc. On pourrait penser que toutes ces innovations bénéficient également aux hommes et aux femmes, n’est-ce pas ? Pourtant, ce n’est pas le cas. Comment prendre en compte le concept de genre de manière responsable lors de l’élaboration d’une innovation en santé, et pourquoi est-ce important ?
L’innovation responsable en santé comporte plusieurs dimensions et domaines de valeurs à prendre en compte. L’une de ces dimensions est l’inclusivité, définie comme « le degré de participation des détenteurs et des détentrices d’enjeux à la conception, au développement et aux étapes pilotes de l’innovation » (Pacifico Silva et coll., 2018). Par détenteurs et de détentrices d’enjeux, on entend les différentes catégories de personnes assises autour de la table lorsque les décisions sont prises : gestionnaires, prestataires de soins et de services sociaux, patients et patientes, personnes représentantes de la communauté et de la société civile.
Au-delà de ces catégories, un autre aspect à considérer lorsqu’on parle d’inclusivité est le genre puisque, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le genre représente l’un
« des plus importants déterminants sociaux des inégalités en santé ».
La recherche clinique : fondement de la science médicale
Le « syndrôme de Yentl » est le biais sexiste selon lequel une personne s’identifiant comme femme ne reçoit pas le même traitement médical qu’une personne s’identifiant comme homme, même lorsque les symptômes sont identiques. La recherche ayant mené à l’invention de ce terme concernait les maladies coronariennes, et l’autrice met en cause les décennies de recherche fondées exclusivement sur des patients de sexe masculin, avec l’identification de leurs symptômes comme étant la norme, alors que les maladies coronariennes peuvent se présenter différemment chez les personnes de sexe féminin (Healy, 1991). Ainsi, il y a iniquité de diagnostic pour une même maladie.
De plus, les femmes composent plus de la moitié des décès causés par les maladies cardiovasculaires, alors qu’elles ne représentent que 30 % des participants et participantes aux études cliniques (American Heart Association, 2015). De même, les personnes souffrant de maladies chroniques s’identifient comme femme à 60%, alors que celles-ci ne forment que 30% des échantillons des études cliniques (Clarke, 1999). L’iniquité sur le plan de la recherche, et par extension du diagnostic, n’est donc pas en voie de se régler. Les principes de l’innovation responsable en santé, qui prône l’inclusivité dès la conception d’une innovation telle qu’un traitement ou un dispositif médical, pourrait répondre à cette problématique.
Le design des dispositifs médicaux
Une hanche est une hanche, un cœur est un cœur, et un bras est un bras, peu importe le sexe, n’est-ce pas? Faux! Le sexe a une importance lorsqu’on parle de dispositifs médicaux, de leurs designs à leur pertinence pour traiter la condition visée. Plusieurs études ont démontré que des hanches artificielles étaient plus défectueuses chez les femmes que chez les hommes; que les femmes étaient plus sensibles aux matériaux utilisés dans les prothèses orthopédiques; que les femmes avaient de moins bons pronostics après l’insertion de plaques métalliques lors de réparations de fractures; et que les femmes retiraient moins de bénéfices de l’insertion de dispositifs cardiaques (Hutchison, 2019).
Selon les auteurs, le « biais sexiste peut être inclus dans les dispositifs quand les impacts possibles des différences entre les sexes sont ignorés dans le design, les tests, les études cliniques, et les processus réglementaires » (Hutchison, 2019). Cela nous ramène donc à la disparité initiale entre les sexes dans les études cliniques et les autres stades de développement des innovations médicales.
La gouvernance au féminin
Comment résoudre ces inégalités de traitement et de design des dispositifs médicaux? La réponse peut se trouver en partie au niveau des organisations qui les produisent. En effet, plus il y a de personnes s’identifiant comme femmes dans la gouvernance des pays, plus la population de ceux- ci est en santé! Cela serait dû au fait que les personnes s’identifiant comme femmes ont plutôt tendance à « adhérer à une idéologie de gauche et à améliorer de manière significative les droits des femmes sur le plan de l’équité salariale, de la violence contre les femmes, de la santé et des politiques concernant les familles » (Muntaner et Ng, 2019). De plus, lorsqu’il y a la parité de genre dans la direction d’une organisation, les décisions prises seraient plus impartiales et efficaces, ce qui améliore la qualité de la gouvernance (Lange, 2019). Le fait d’avoir des détentrices d’enjeux à la barre des organisations productrices d’innovations en santé pourrait ainsi contribuer à éradiquer les inégalités de genre dans les pronostics!
Être plus responsable, à tous les niveaux de la recherche médicale ?
Les principes de la recherche féministe participative offrent plusieurs repères pour mieux saisir comment les biais fondés sur le genre et le sexe prennent forme et comment les éliminer. Pour être plus responsable, selon le cadre conceptuel In Fieri, il faut notamment inclure dès la conception d’une étude clinique les détenteurs et les détentrices d’enjeux pertinents pour le développement d’une innovation en santé, en considérant leur genre. Le fait de s’assurer d’avoir la parité de genre en termes de gouvernance est aussi un levier pour accroître la responsabilité.
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Andrée-Anne Lefebvre
Références
American Heart Association. (2015). Statistical Fact Sheet 2015 Update. Consulté à l’adresse www.heart.org/idc/groups/heart-public/@wcm/@sop/@smd/documents/downloadable/ucm_472913.pdf
Clarke, J. (1999). Chronic fatigue syndrome : Gender differences in the search for legitimacy. Australian and New Zealand Journal of Mental Health Nursing, 8(4), 123‑133. https://doi.org/10.1046/j.1440-0979.1999.00145.x
Healy, B. (1991). The Yentl Syndrome. New England Journal of Medicine, 325(4), 274‑276.https://doi.org/10.1056/NEJM199107253250408
Hutchison, K. (2019). Gender Bias in Medical Implant Design and Use : A Type of Moral Aggregation Problem? Hypatia, 34(3), 570‑591. https://doi.org/10.1111/hypa.12483
LANGE, T. (2019). When women are in power the quality of governance is better [Text]. Consulté 14 novembre 2019, à l’adresse EU Science Hub—European Commission website: https://ec.europa.eu/jrc/en/news/women-in-power
Muntaner, C., & Ng, E. (s. d.). Here’s why having more women in government is good for your health. Consulté 14 novembre 2019, à l’adresse World Economic Forum website: https://www.weforum.org/agenda/2019/01/the-more-women-in-government-the-healthier-a-population/
Pacifico Silva, H., Lehoux, P., Miller, F. A., & Denis, J.-L. (2018). Introducing responsible innovation in health : A policy-oriented framework. Health Research Policy and Systems, 16(1), 90. https://doi.org/10.1186/s12961-018-0362-5
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