Hôpital de Baie-Saint-Paul, été 2021. Rien ne va plus. Le nombre de quarts de travail à combler en temps supplémentaire est si élevé, qu’on menace de fermer les urgences le soir et la nuit. Donald Caron, à la tête du service des urgences, doit trouver une solution. Il y arrivera, mais pas seul. Une équipe du Living Lab Charlevoix (qui s’est donné pour mission de créer et de tester des innovations) ainsi que les infirmières de l’hôpital sont intégrées dans l’élaboration d’une solution viable. C’est le principe d’inclusivité. Quels autres principes peuvent inspirer gestionnaires et innovateurs en santé pour créer un système de santé plus durable ? Une équipe de recherche s’est penchée sur la question.
Rappelons d’abord que système de santé et des services sociaux est un écosystème complexe composé d’un grand nombre d’acteurs. Parmi eux, on compte des innovateurs qui développent et cherchent à implanter de nouvelles technologies, en fonction de leur définition des problèmes à résoudre. En face, les gestionnaires doivent faire des choix quant aux innovations proposées. Quels sont leurs coûts ? Leurs avantages ? Ces innovations répondent-elles de façon pertinente à un besoin du système de santé ? Entraîneront-elles des conséquences involontaires ? Et, ultimement, vont-elles favoriser la durabilité du système de santé ?
Dans leur étude, Pascale Lehoux, Kathy Malas et leurs collègues ont voulu mieux comprendre comment les gestionnaires peuvent influencer la façon dont les innovateurs définissent les problèmes auxquels leur solution devrait s’attaquer. Pour ce faire, l’équipe de recherche a mené 37 entretiens avec des innovateurs québécois, ontariens et brésiliens. Ils ont basé leurs entretiens sur trois des neuf caractéristiques qui distinguent une innovation responsable en santé (IRS) : l’inclusivité, la réactivité, et le niveau et l’intensité des soins.
La durabilité des systèmes de santé, c’est quoi ? Pour le médecin américain Harvey V. Fineberg, professeur de politique et de gestion de la santé à l’Université Harvard, les systèmes de santé durables sont caractérisés par : 1. une population en bonne santé; 2. des soins de qualité supérieure (c.-à-d. des soins efficaces, sûrs, opportuns, centrés sur le patient, équitables et efficients); 3. l’équité, qui implique que les services sont fournis « sans discrimination ni disparité ». Fineberg HV. 2012 A successful and sustainable health system — how to get there from here. The New England Journal of Medicine. |
Inclusivité : inclure les futurs utilisateurs à l’étape de la conception
Les cheurcheurs ont d’abord voulu savoir comment les innovateurs incluent les futurs utilisateurs de leurs innovations (les gestionnaires comme le personnel de la santé) à l’étape de la conception. Premier constat : les relations de pouvoir et la hiérarchie qui prévalent dans le système de santé compliquent les processus de « conception inclusive ». Certains innovateurs y arrivent tout de même, en allant directement sur le terrain.
Pour développer son test de dépistage du cancer de la thyroïde, le fondateur d’une entreprise brésilienne a formé un partenariat avec un hôpital où il pouvait « parler au médecin, à l’infirmière, et à la famille du patient ». Il demandait : « Quel est le problème ici ? Où va cet échantillon ? Combien de temps est requis pour obtenir les résultats ? » C’est en obtenant des réponses à ces questions que l’innovateur a réussi à optimiser sa solution en permettant la réutilisation l’échantillon déjà prélevé, évitant ainsi une seconde biopsie.
Cela dit, font remarquer les auteurs de l’étude, prendre contact avec les praticiens des soins de santé n’est pas toujours facile, ni même possible. Aussi, les innovateurs qui souhaitent consulter des patients vulnérables et leurs soignants à l’étape de la conception devraient être bien préparés.
« Si vous tendez un bâton ou une raquette de tennis à une personne qui se noie, elle va l’attraper de toute façon. Si, au moment où elle se noie, vous lui demandez si la raquette de tennis a plus de valeur pour elle que le bâton, vous lui posez une mauvaise question » souligne très justement l’un des participants à l’étude.
Réactivité : concevoir une solution qui répond aux défis du système de santé
Les défis inhérents au système de santé sont nombreux et en constante évolution : changements démographiques, hausse des maladies chroniques, apparition de nouveaux virus, manque de personnel, etc. Comme le système est en perpétuelle mouvance, les innovateurs peuvent avoir du mal à y positionner leurs solutions. De plus, avancent les chercheurs, la façon dont les services publics sont organisés et financés limite parfois la capacité des innovateurs à fournir des solutions adaptées au système.
Par exemple, une entreprise québécoise a mis en ligne un répertoire des bâtiments accessibles aux personnes à mobilité réduite pour leur permettre de planifier leurs déplacements. Cette entreprise s’est toutefois avérée non viable, car elle ne pouvait pas facturer ses services. Pourquoi ? Parce que le service offert est, en principe, sous la responsabilité du gouvernement du Québec, et non pas l’affaire du privé. Pourtant, « rien n’a été fait » sur le plan provincial depuis 1978 pour concrétiser un tel service.
Certains innovateurs, donc, tentent bel et bien de relever de vrais défis du système de santé, mais leur capacité peut être entravée par une administration immobile et le manque d’ouverture aux nouvelles solutions.
Niveau et intensité des soins : les ressources requises par l’innovation
Les besoins grandissants, associés au vieillissement de la population et la prévalence croissante des maladies chroniques, font pression sur les budgets de santé en constante hausse. Au Québec, la pénurie d’infirmières dans le réseau de la santé se fait sentir plus que jamais. Dans un tel contexte, comment un innovateur peut-il s’assurer que son innovation sera utilisée au bon palier de soins, c’est-à-dire par une personne ni sous-qualifiée ni surqualifiée ?
Les auteurs de l’étude ont constaté que les innovateurs prennent en compte la pénurie de personnel et cherchent à réduire les obstacles qui compliquent l’accès aux soins spécialisés. Une entreprise de Sāo Paulo a par exemple mis sur pied des cliniques mobiles pour rejoindre des patients dans les communautés éloignées ou mal desservies. Les cliniques offrent des examens de mammographie, d’endoscopie et de coloscopie, et même des espaces dédiés aux interventions chirurgicales mineures.
En résumé, la route qui mène à une collaboration entre les gestionnaires et les innovateurs est semée d’embûches, mais elle conduit à la naissance de solutions innovantes appropriées; des solutions indispensables pour stimuler un système de santé… en santé.
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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