Les sprinters sont sur la ligne de départ. Le coup d'envoi de la course est donné. Les spectateurs retiennent leur souffle et... rien. Les sprinters demeurent immobiles. Les coureurs, ce sont les grandes compagnies pharmaceutiques, et le signal de départ, la déclaration de l'OMS qui confirme que la flambée de COVID-19 constitue bel et bien une pandémie.
Le 12 mars 2020, après l'annonce de l'OMS, aucune grande entreprise pharmaceutique ne s’empresse de démarrer le développement d'un vaccin. C'est que « les entreprises ne veulent pas fabriquer de produits non rentables » explique Fred Ledley, directeur du Center for Integration of Science and Industry à l’Université de Bentley.
Il a fallu attendre que les gouvernements, des organisations philanthropiques et des individus (merci, Dolly Parton) promettent des investissements pour que les sociétés pharmaceutiques se lancent. N’eût été des fonds publics qui ont été massivement versés par les contribuables, on serait peut-être encore à la case départ.
Massivement, c’est-à-dire ?
C’est-à-dire 17 milliards, selon Marc-André Gagnon, professeur agrégé à l’École de politique publique et d’administration de l’Université Carleton. Les seuls vaccins mis au point par AstraZeneca/Université d’Oxford, Moderna et Pfizer/BioNTech ont reçu plus de 5 milliards de dollars de financement public.
Ellen ’t Hoen, directrice du groupe de recherche Medicines Law and Policy, résume ce paradoxe pour le moins troublant : même si leur développement a été financé par le secteur public, « ces innovations deviennent la propriété privée de ces organisations commerciales et le contrôle de l’accès à l’innovation et des connaissances sur la façon de les fabriquer reste entre les mains de l’entreprise ».
Pour rappel, la plupart des brevets octroient aux entreprises privées le droit de propriété et d’usage exclusifs pendant 20 ans sur leurs inventions, tels que les vaccins.
Résultat : les gouvernements détiennent peu ou prou de pouvoir pour décider qui a accès à un vaccin, quand et à quel prix. Aussi bien dire qu’ils sont hors course.
Repassez à la caisse
Prenons Moderna par exemple. L’entièreté de la recherche pour le vaccin a été faite avec des fonds publics. Aucun fonds privé n’a été investi dans la recherche. Cela n’empêche pourtant pas Moderna de vendre son vaccin au prix le plus élevé sur le marché. Chaque dose coûterait entre 32 $ et 47 CA.
« On a un cas où c’est l’argent public qui a financé la recherche (…), donc on paie deux fois pour le même vaccin », précise Marc-André Gagnon.
Dose promise, dose due
Payer deux fois ? Je veux bien, pensez-vous, à condition que l’investissement des pays riches puisse bénéficier aux autres pays. Par exemple, à condition que le savoir-faire développé soit mis en commun afin de garantir une vaccination équitable contre le coronavirus.
Ce faisant, on donnerait à des pays comme l’Inde et l’Afrique du Sud la possibilité de fabriquer des doses pour leurs propres marchés. Ces deux pays ont d’ailleurs demandé à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de lever les contraintes associées aux brevets sur les médicaments, vaccins, et tests de dépistage pour la COVID-19. La proposition a été rejetée — notamment par le Canada.
9 personnes sur 10 n’auront pas accès au vaccin
Jusqu’à présent, toutes les doses de Moderna et 96 % de celles de Pfizer/BioNTech ont été acquises par les pays riches.
Une coalition d’organisations, The Vaccine Alliance (GAVI), a constaté que les nations riches représentant 14 % de la population mondiale avaient acheté plus de la moitié (53 %) de tous les vaccins les plus prometteurs.
Selon les données de la société d’analyse Airfinity, le Canada (encore lui) est en tête du classement « avec suffisamment de doses pour vacciner chaque Canadien cinq fois ». C’est ce qu’on appelle du « nationalisme vaccinal ».
Résultat : l’année prochaine, 9 personnes sur 10 n’auront pas accès au vaccin contre la COVID-19 dans les pays à faibles et moyens revenus. Pendant ce temps, les pays qui ont fait main basse sur les vaccins disponibles goûtent à leur propre médecine. Des retards de livraison sont annoncés et les acheteurs jouent du coude pour obtenir les doses qu’on leur a promises.
Un modèle d'affaire alternatif
D’autres modèles d’affaires sont pourtant envisageables.
À preuve, l’université Oxford a demandé à son partenaire AstraZeneca — avec qui elle a développé un vaccin — de le vendre à prix coûtant tant que durerait la pandémie. De plus, Oxford/AstraZeneca s’est engagé à fournir 64 % de ses doses aux populations des pays en développement.
Il aura fallu la crise pour nous éveiller à une dure réalité, nous dit l’économiste de renom Mariana Mazzucato : « Le désastre sanitaire causé par COVID-19 nous oblige à prendre en compte les problèmes de longue date du capitalisme ». Brevets, règles commerciales, santé publique, et redistribution équitable. Voilà les cartes qu’il nous faut mélanger de nouveau pour que le vaccin soit reconnu comme un bien public mondial. Et pour ne pas rater le départ de la prochaine course.
PAROLE DE CHERCHEUSE
Pascale Lehoux, PhD
Pour contacter Pascale Lehoux :
pascale.lehoux@umontreal.ca
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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