Depuis le premier billet en 2009, nous avions également brièvement abordé les questions socialement vives liées aux cellules souches dans d’autres publications indirectement liées. Dans ce billet, nous vous proposons d’effectuer un état des lieux de la recherche scientifique dans un domaine qui suscite des espoirs tout en impliquant d’importantes questions d’éthique.
Les cellules souches quésaco ?
Commençons par rappeler brièvement ce qu’est une cellule souche. Pour faire simple, il s’agit d’une cellule indifférenciée qui a la possibilité de se diviser pendant une période indéfinie et qui est destinée à remplir une fonction spécifique. Cette définition étant assez englobante, il est important de préciser qu’il existe 4 types de cellules souches en fonction de leur période de développement et de leur fonction : les cellules « totipotentes », les cellules « pluripotentes », les cellules « multipotentes » et les cellules « unipotentes ». Les cellules souches totipotentes se développent très rapidement après la fécondation. Elles sont capables de se transformer en embryon, mais donnent aussi le placenta et le cordon ombilical. Quelques jours plus tard, les cellules souches pluripotentes font leur apparition, elles sont dites embryonnaires et sont capables de générer n’importe quel organe du corps, y compris les cellules germinales responsables des gamètes mâles et femelles, c’est-à-dire les ovules et les spermatozoïdes. Les cellules souches multipotentes sont capables de donner plusieurs types de cellules, mais seulement dans un type de tissu. Par exemple, les cellules souches hématopoïétiques sont à l’origine de l’ensemble des cellules sanguines comme les globules rouges et les plaquettes, mais ne peuvent créer d’autres tissus, elles ne peuvent donc pas devenir des neurones ou des cellules de l’épiderme et inversement. Finalement les cellules souches unipotentes ne peuvent donner qu’un seul type cellulaire, ce qui est le stade le plus restreint de la différenciation. Si vous désirez en savoir plus, nous vous conseillons la lecture de cette fiche d’explication du site Explorecuriosite.org.
Les quatre types de cellules souches – Crédit visuel : Science & Avenir.
Il y a 70 ans, une recherche très « embryonnaire »
En matière de recherche sur les cellules souches, on peut raisonnablement dire que de l’eau a coulé sous les ponts depuis le début des années 50 et les travaux de Pierce et Varnum sur le développement de tumeurs chez des souris. Quel rapport avec les cellules souches me direz-vous ? Réponse : c’est en étudiant le développement de tératocarcinomes testiculaires (une forme très rare de tumeur) chez des rongeurs qu’il a été découvert qu’une fois ces amas de cellules isolés et transplantés dans des souris saines, ils pouvaient produire un semblant d’organisation en fonction des organes en contact avec le tissu de la tumeur. En analysant des milliers de souris, il était devenu évident que des cellules souches embryonnaires peuvent émerger des tératomes. Les travaux de Stevens et Varnum (un peu plus tard avec Barry Pierce) ouvrèrent la voix à la recherche sur les cellules souches. Les découvertes scientifiques des 40 dernières années sont un héritage direct de la persévérance et de la curiosité de Stevens, alors que ses travaux sont souvent peu cités quand vient le temps de revenir sur la genèse de la recherche sur les cellules souches.
Des cellules souches embryonnaires aux cellules souches pluripotentes induites
Éthique est le mot qui ressort rapidement quand on commence à s’intéresser aux potentiels apports des thérapies qui impliqueraient l’utilisation de cellules souches embryonnaires. La controverse débuta quelque temps après que Thomson et al. (1998) annoncèrent qu’ils avaient réussi à isoler des cellules souches embryonnaires humaines, alors que cet exploit n’avait été réalisé que sur des rongeurs.
En effet, collecter des cellules souches embryonnaires implique de porter atteinte à l’intégrité de l’embryon qui n’a que quelques jours. Rappelons qu’au stade « blastocyste », c’est-à-dire 5 jours après la fécondation, un embryon ne représente que 32 à 64 cellules. Ce prélèvement de cellules souches d’embryon pose évidemment la question des droits légaux et moraux de celui-ci. D’un autre côté, est-il éthique d’empêcher l’utilisation d’embryons à des fins de recherche thérapeutique (donc pouvant sauver des vies) quand on sait qu’il existerait des millions d’embryons dits « surnuméraires » sur la planète grâce aux progrès de la fécondation in vitro ?
Et si, au lieu de prélever les cellules souches sur un embryon, on arrivait à les créer à partir de cellules différenciées ? Imaginez donc pouvoir redonner à une cellule somatique sa pluripotence, c’est-à-dire la capacité de se différencier en pratiquement n’importe quelle cellule du corps à l’origine de la formation des organes. C’est ce qu’a réussi à faire en 2007 l’équipe du professeur japonais Shinya Yamanaka, alors que beaucoup pensaient que cette avancée scientifique demanderait encore des années. Lire le billet de l’Agence Science-Presse pour les détails. Avec le succès de l’équipe de Yamanaka (Tahakashi, 2007), les « cellules souches pluripotentes induites » (IPS) étaient nées et la recherche pourrait se passer d’embryons. Mieux, il serait possible de traiter des maladies en reprogrammant des cellules de peau ou de sang d’un patient pour les faire produire là des cellules cardiaques, ici des cellules rénales. Cependant et malgré le gros pas en avant lié à la production d’IPS, la science allait déchanter. En effet, en y regardant de plus près, une équipe de recherche démontra en 2011 que des anomalies génétiques étaient présentes dans les cellules pluripotentes induites (Lister et al., 2011) sans que l’on comprenne bien pour quelles raisons.
Qu’à cela ne tienne, les importants progrès scientifiques réalisés du côté des IPS n’ont pas éteint l’intérêt de la recherche pour les cellules souches embryonnaires, d’autant plus que la capacité de multiplication des cellules embryonnaires s’est considérablement améliorée au fil des années. Comme le mentionne David Cyranoski (2018) dans l’article The cells that sparked a revolution de la revue Nature : « les cellules peuvent maintenant être produites plus rapidement, plus sûrement et indéfiniment, sans voir apparaître un potentiel de transformation en cellules cancéreuses, comme certains s’en inquiétaient auparavant » (Trad. libre).
À la lecture des paragraphes précédents, on prend facilement conscience que des traitements efficaces impliquant le recours à des cellules souches sont encore loin d’être disponibles. Toujours selon la revue Nature, « un des gros problèmes est que de nombreux types cellulaires sont complexes à produire. Melton Douglas (chercheur au Harvard Stem Cell Institute, ndlr) estime que seulement 10 types cellulaires créés jusqu’à maintenant sont des copies fonctionnellement équivalentes aux cellules humaines classiques ».
Dans le domaine de la recherche sur les cellules souches, la science a fait d’importants progrès depuis environ une décennie, mais les avancées ont aussi permis de se rendre compte des difficultés liées à la manipulation des quelques dizaines de cellules constituant certains organismes vivants alors qu’ils n’ont que quelques jours. De plus, les questions d’éthique n’ont pas fini d’animer les débats, tant au sein de la communauté scientifique que du grand public. Nul doute que les prochains dix ans vont être intéressants à suivre.
Jérémy Bouchez RÉFÉRENCES
Cyranoski, D. (2018). The cells that sparked a revolution. Nature, 555, (428-431).
Lister, R., Pelizzola, M., Kida, Y. S., Hawkins, R. D., Nery, J. R., Hon, G., Antosiewicz-Bourget, J., O’Malley, R., Castanon, R., Klugman, S., Downes, M., Yu, R., Stewart, R., Ren, B., Thomson, J. A., Evans, R. M., Ecker, J. R. (2011). Hotspots of aberrant epigenomic reprogramming in human induced pluripotent stem cells. Nature, 471(7336), 68‑73. https://doi.org/10.1038/nature09798
Takahashi, K., Tanabe, K., Ohnuki, M., Narita, M., Ichisaka, T., Tomoda, K., & Yamanaka, S. (2007). Induction of Pluripotent Stem Cells from Adult Human Fibroblasts by Defined Factors. Cell, 131(5), 861‑872. https://doi.org/10.1016/j.cell.2007.11.019
Thomson, J. A., Itskovitz-Eldor, J., Shapiro, S. S., Waknitz, M. A., Swiergiel, J. J., Marshall, V. S. & Jones, J. M. (1998). Embryonic Stem Cell Lines Derived from Human Blastocysts. Science, 282(5391), 1145‑1147. https://doi.org/10.1126/science.282.5391.1145
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