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mWater ou comment le libre accès change la santé publique


Source: mWater


On sait depuis longtemps que les pénuries d’eau potable posent un problème dans le monde entier. Nous mentionnions déjà dans ce billet que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère que c’est une priorité, et l’Assemblée générale des Nations Unies a reconnu en 2010 le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit de l’homme.


Plusieurs initiatives ont donc été mises sur pied pour améliorer les infrastructures en place. Par contre, une fois les puits construits ou les sources d’eau décontaminées, une problématique demeure: comment s’assurer que la source d’eau reste potable? En effet, les sources d’eau peuvent facilement devenir contaminées sans que les utilisateurs ne s’en rendent compte, ce qui peut entre autres causer des maladies diarrhéiques comme le choléra ou la dysenterie. Toujours selon l’OMS, plus de 1,5 million d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année de l’exposition à des sources d’eau contaminées. À moins de construire un coûteux laboratoire de microbiologie proche des lieux d’approvisionnement en eau, les options disponibles sont limitées. C’est là que mWater intervient, en procurant un moyen abordable de tester l’eau, et surtout de diffuser les résultats des tests pour le bénéfice de tous.

De la station spatiale internationale à la Tanzanie


John Feighery testant un puits. Source: NASA


L’initiative a commencé en 2011, lorsque John Feighery, cofondateur d’une section locale d’Ingénieurs sans frontières, travaillait au Salvador pour la création de sources d’eau sécuritaires. Il était également impliqué dans un projet de la NASA sur l’évaluation de la qualité de l’eau et de l’air à bord de la station spatiale internationale, ce qui lui a fait prendre conscience des similarités entre les projets d’évaluation de la qualité de l’eau dans l’espace et ceux des régions éloignées sur terre, notamment en ce qui concerne l’absence d’un laboratoire et de spécialistes. De plus, les travaux de sa femme Annie Feighery, une scientifique travaillant en santé publique dans des communautés plus pauvres, ont confirmé cette intuition. C’est ainsi que le couple a fondé mWater, une organisation jumelant les tests utilisés dans l’espace pour vérifier la pureté de l’eau, et une application mobile innovante en libre accès permettant de répertorier les résultats obtenus dans des communautés éloignées et ayant peu de ressources.

En 2011, les fondateurs de mWater rencontrent Clayton Grassick au hackathon Random Hacks of Kindness à Montréal, et celui-ci y remporte le premier prix en proposant le code qui sera utilisé plus tard pour l’application mobile mWater. Pendant l’été 2012, l’application a été testée en Tanzanie, où actuellement plus d’individus ont accès à des téléphones intelligents qu’à des sources d’eau potable sécuritaires. Les tests préliminaires effectués sur plus d’une centaine de sources d’eau à Mwanza, en Tanzanie, avaient mis en lumière que plus de 90 % des puits et des ruisseaux présentaient de la contamination fécale. Ces sources d’eau étaient souvent très près d’autres sources plus sécuritaires, et l’entreprise croit fermement que le fait d’éduquer les populations sur l’état sanitaire des sources d’eau fera une énorme différence sur leur santé. Le vidéo ci-dessous, produit par la NASA, explique bien les motivations et le fonctionnement derrière mWater.


Comment ça fonctionne

Les différents tests utilisés par mWater pour évaluer la qualité de l’eau.


L’application mobile mWater est utilisée en combinaison avec un kit de prélèvement et d’analyse de l’eau. L’usager n’a qu’à prélever un sac d’eau de la source, et déposer 1 mL de celle-ci sur un pétri pour en observer la croissance bactérienne. Le test de qualité de l’eau requiert un délai de 24 h. On ajoute également un agent actif dans le sac, ce qui produit un changement de couleur. L’eau est déclarée sécuritaire ou non, sur une échelle allant de « propre à la consommation » à « extrêmement non sécuritaire », en passant par « peut être utilisée pour se laver ». L’application mobile est ensuite utilisée pour publier les résultats obtenus, permettant ainsi de les partager avec la communauté. De plus, les différentes applications mobiles — pour trouver des sources ou pour entrer des données — sont spécialement conçues pour être utilisées dans des régions sans réseau internet fiable, et fonctionnent tant en ligne que sans réseau.

Au moment d’écrire ces lignes, l’application mWater est utilisée par plus de 10 000 organismes non gouvernementaux, chercheurs et gouvernements dans 93 pays à travers le monde. mWater reçoit ainsi plus de 25 000 résultats par mois, pour environ 350 000 sites d’approvisionnement en eau, qu’ils soient publics ou privés. Puisque l’application est en accès libre, plusieurs acteurs ont pu l’adapter pour traquer les résultats d’indicateurs spécifiques. Ainsi, avec l’aide de leurs partenaires, mWater permet maintenant d’évaluer la présence d’E. coli, la disponibilité de la source à toutes heures du jour ou de la nuit, le nombre de personnes utilisant le point d’eau comme source d’eau principale, le pH de l’eau en surface, et le nombre de bris techniques dans la dernière année, pour ne nommer que ces critères. Ces nombreuses informations permettent aux gens de prendre des décisions éclairées quant aux sources d’eau qu’ils utilisent. C’est extrêmement important, car un sondage effectué par mWater a mis en évidence le fait que les ménages puisent leur eau en moyenne à trois sources différentes par jour!

La démocratisation des données pour la santé


État sanitaire des sources d’eau en Haïti. Source: mWater


L’application mWater, simple à utiliser à grande échelle, permet aux individus de s’approprier les moyens nécessaires à leur protection. La caractéristique la plus innovatrice de l’application est sans doute son libre accès, qui permet de la personnaliser selon les lieux et les situations. Par exemple, il a été possible de faire une carte satellite pour exprimer le stress hydrique sur les sources d’eau en Haïti en fonction du nombre de ménages qui les utilisaient.

L’organisation mWater présente également un nouveau modèle de science citoyenne. La possibilité d’accéder à l’information sur les sources d’eau en temps réel permet aux individus d’apprendre à choisir les meilleurs sites d’approvisionnement pour eux. Le fait d’archiver les données de façon numérique permet également une évaluation longitudinale de l’état des sources d’eau, ce qui n’était pas possible avec l’évaluation des sources sur papier, peu accessible par les citoyens et les citoyennes.

Finalement, ce modèle est également applicable à d’autres problématiques de santé publique, et mWater a contribué à une application similaire pour traquer l’évolution du virus Zika. L’accès libre permet ce genre de développement, et il serait avisé de s’inspirer d’un tel modèle pour plusieurs types d’intervention et différentes problématiques, de l’accès à l’eau aux maladies infectieuses.


Andrée-Anne Lefebvre


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