Le droit de réparer fait jaser. Il fait jaser Joe Biden qui a signé un décret pour empêcher les fabricants d’interdire l’autoréparation. Il fait jaser des étudiants en droit de l’Université de Sherbrooke qui ont développé un projet de loi qui vise à assurer le droit à la réparation. Il fait aussi jaser les invités de Bande pensante/BandWit, une émission en ligne qui s’intéresse aux impacts sociaux et aux implications éthiques de la technologie. À qui incombe la responsabilité de faire valoir le droit à la réparation ? Ce droit est-il une barrière à l’innovation ? Qui est pénalisé par l’impossibilité d’effectuer soi-même des réparations ? Autant de questions qui ont animé la discussion dont nous résumons ici quelques moments-clés.
Le droit à la réparation, en bref
Le mouvement pour le droit à la réparation cherche à protéger les droits des consommateurs qui veulent faire leurs propres diagnostics et réparations, sans être prisonniers des services fournis par les fabricants (d’électronique, d’électroménagers ou autres).
Elizabeth Chamberlain est directrice du développement durable chez iFixit, qui rend disponibles des tutoriels de réparation en ligne gratuits et modifiables par tous. En d’autres mots, une communauté de gens qui s’entraident pour réparer leurs affaires cassées. Leur site contient 80 000 tutoriels de réparation (!), allant du grille-pain au tracteur. Pour Elizabeth Chamberlain, la réparation est d’abord un geste écologique qui vise à garder nos objets loin du dépotoir, notamment les objets électroniques, fort polluants. Selon elle, les arguments de certains fabricants de matériel électronique ne sont qu’un écran de fumée :
« Apple, par exemple, limite l’accès aux pièces, aux outils et aux informations sur la réparation. La compagnie justifie ces restrictions en argumentant que son matériel contient des éléments protégés par la propriété intellectuelle. Il est pourtant ridicule de penser qu’on va violer ce droit en changeant la pile d’un téléphone cellulaire. Les piles sont des consommables, et personne ne devrait avoir à parcourir des dizaines de kilomètres pour laisser son téléphone chez un réparateur pendant deux semaines… »
Pour Anthony Rosborough, candidat au doctorat à la European University Institute et fondateur de la Canadian repair coalition, le recours au droit de propriété intellectuelle sert parfois de prétexte pour empêcher la concurrence sur un marché qui n’est pourtant pas lié au champ d’activité du fabricant. « Si vous fabriquez un tracteur, vous ne devriez pas empêcher la concurrence sur le marché de la réparation des tracteurs. Les droits de propriété intellectuelle ne devraient pas vous donner la possibilité d’aller aussi loin. »
Les consommateurs en cause
Anthony Rosborough nous rappelle que l’obsolescence programmée est une technique utilisée par les fabricants et les manufacturiers pour créer des biens à durée de vie limitée. On accélère ainsi le rythme de remplacement… et les profits. « On peut blâmer les fabricants, affirme-t-il, mais le consommateur participe à créer ce cercle vicieux de la consommation : on veut du neuf. » Ce phénomène porte même un nom, l’obsolescence psychologique, soit le fait de changer un produit, qui fonctionne pourtant bien, parce qu’il apparaît comme daté par rapport aux produits similaires plus récents. Pour ne rien arranger, les fabricants sont de plus en plus éloignés géographiquement. Ainsi, la plupart des choses que nous achetons et utilisons sont fabriquées sur un autre continent, ce qui crée une forme d’aliénation. Il est quasi impossible d’interagir avec le fabricant pour obtenir des pièces ou simplement de l’information.
La réparation responsable en santé
Pendant la pandémie de COVID-19, les problèmes de réparation et de maintenance des dispositifs médicaux se sont multipliés. On peut penser aux ventilateurs, utilisés 24 heures sur 24. Depuis longtemps, les ingénieurs biomédicaux réclament un plus grand accès aux manuels de réparation afin de réparer avec efficacité et rapidité les équipements médicaux, dont certains sauvent des vies. Elizabeth Chamberlain : « Nous avons appris que de nombreux techniciens en milieu hospitalier n’étaient pas en mesure de réparer leurs ventilateurs en raison de la forte demande de pièces, mais aussi d’absence d’information. »
iFixit et Calpirg, la branche californienne du Public Interest Research Group, ont alors travaillé à la publication de la plus grande collection connue de manuels et de guides d’entretien pour équipement médical. Quand les manuels de réparation n’étaient pas disponibles, ils ont utilisé l’information fournie par différentes institutions médicales. iFixit a constaté que, comme pour l’électronique grand public, certains fabricants d'équipement médical coûteux avaient utilisé des moyens pour rendre les réparations non courantes difficiles, et exigeaient des processus de réparation autorisés.
Innovation et autonomie
Certains pourraient croire à l’existence d’une relation conflictuelle entre la réparation et l’innovation. Une idée que rejette en bloc Elizabeth Chamberlain. « Lorsque vous parlez aux gens qui innovent technologiquement, presque tous ont commencé en démontant des objets. Ils sont vraiment effrayés par un monde où vous ne pouvez pas le faire, et par les appareils qui sont scellés. »
Pour certaines communautés installées dans des régions éloignées, la réparation est une nécessité. Au Canada, affirme Anthony Rosborough, les moyens mis à leur disposition pour effectuer leurs propres réparations sont de plus en plus limités, en particulier dans les communautés nordiques et autochtones. La réparation permet de décentraliser les connaissances et d’accroître la participation aux processus techniques. Il en résulte un transfert de connaissances et une alphabétisation technologique qui rend ces communautés plus autonomes. Les inégalités entre milieu urbain et régions éloignées sont aussi réduites.
De nouvelles législations prometteuses
Le droit à la réparation connaît des avancées. Les réparations en libre-service seraient bientôt permises par Apple. La Commission européenne vient d’adopter une résolution qui prévoit, entre autres, des mesures pour encourager les consommateurs à choisir la réparation plutôt que le remplacement. La France a institué l’affichage obligatoire d’un indice de réparabilité pour cinq catégories de produits électroménagers et électroniques (loi anti-gaspillage). La Suède, pour sa part, offre un crédit d’impôt aux personnes qui font réparer leurs biens, des bicyclettes aux machines à laver. Enfin, des produits réparables font leur apparition sur le marché. L’ordinateur portable Framework peut être mis à niveau, personnalisé et réparé par son propriétaire (on fournit même le tournevis!). Le Fairphone est composé de pièces démontables et conçu avec des matériaux équitables et recyclés.
Enfin, le droit à la réparation demeure un droit, et non une obligation. Mais si les tares répétitives de votre grille-pain sont devenues un irritant, sachez que toute une communauté se fera un plaisir de vous aider à le retaper !
Extrait de l'épisode Right to Repair de Bande pensante/BandWit (en anglais)
Cet épisode de Bande pensante/BandWit était coanimé par les cocréateurs de l'émission, Gabrielle Joni Verrault et Denis Luchyshyn.
Lien vers l'épisode complet (en anglais).
Catherine Hébert
Rédactrice scientifique
catherine.hebert.6@umontreal.ca
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