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Santé mentale des jeunes : une trajectoire incertaine


Photo : Drew Herron Flickr

« Les enfants de 12 ans et moins — c’est connu dans le monde — ne font pas beaucoup de tentatives de suicide. Pourtant, cette année, on a reçu beaucoup d’enfants qui ont tenté de s’enlever la vie. Pas des menaces ; de vraies tentatives. Avec des couteaux, des médicaments, en se jetant devant un camion. Ce sont des choses graves qu’on ne voyait pas avant. »


Au cours de la dernière année, la santé mentale des jeunes s’est dégradée de façon inquiétante. La remontée sera longue, et les contrecoups inévitables. Entretien avec le pédopsychiatre Rogerio Diaferia Rossi.


Au début de la pandémie, les jeunes qui se présentent au Centre hospitalier Pierre-Janet, à Gatineau, souffrent surtout de troubles d’adaptation légers.


La fermeture des écoles ouvre une brèche. Les jeunes ne voient plus leurs amis et sont peu motivés par les cours en ligne. L’anxiété s’installe.


« Les troubles d’adaptation peuvent être de courte durée. On dirige alors le patient vers le travailleur social ou le psychologue. Pas besoin de médicaments. Les interventions demeurent, somme toute, assez simples. »


Mais avec la pandémie qui se prolonge, les cas s’aggravent.


Les troubles d’adaptation font place à des dépressions avec symptômes psychotiques, et à des troubles bipolaires.


« En général, ces troubles ne commencent pas à un si jeune âge », précise le docteur Rossi.


Augmentation de la prescription de médicaments

Les pédiatres, en première ligne, sont submergés de demandes de consultation. Une large proportion d’entre eux se sentent mal à l’aise ou peu qualifiés pour traiter les problèmes d’ordre psychiatrique.


Pourtant, au fil des mois, le Dr Rossi constate une augmentation de la prise de médicaments chez les jeunes.

« Il faut d’abord s’intéresser aux causes psychologiques et sociales qui amènent un enfant à être malade. Avec la pandémie sont venus le stress généré par l’école en ligne, l’isolement, et le manque de sommeil. Tout cela participe au mal-être ressenti. Ce ne sont pas des pilules qui vont aider ces jeunes-là. »

Le pédopsychiatre spécifie qu’une panoplie de médicaments existent pour traiter les troubles psychiatriques. Or, seulement 10 % de ces médicaments sont approuvés pour les patients de moins de 18 ans.


Résultat : beaucoup d’enfants et d’adolescents échouent dans le bureau du Dr Rossi sous l’effet d’une médicamentation contre-indiquée compte tenu de leur âge.


Comment en sont-ils arrivés là ? Avec l’école en ligne, plusieurs jeunes disent avoir du mal à se concentrer. Même s’ils ne souffrent pas véritablement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), certains se font prescrire des psychostimulants, qui ont pour effet d’augmenter le taux de dopamine.


Cela déclenche un engrenage dangereux.

« Un surplus de dopamine engendre un sommeil qui n’est pas réparateur ; un sommeil où il n’y a pas d’encodage dans la mémoire. Tous les apprentissages effectués au cours de la journée qu’ils soient académiques ou comportementaux — développer son autonomie par exemple — ne sont pas enregistrés dans la mémoire. »

Dans les cas extrêmes, le médicament agit comme un déclencheur et peut induire des psychoses.


Écran et dopamine

Les écrans sont eux aussi responsables d’un surplus de dopamine. La Société canadienne de pédiatrie prône d’ailleurs une utilisation modérée des écrans (de deux à quatre heures par jour).


Mais voilà : « Avec la pandémie, certains jeunes étaient devant leur écran jusqu’à 18 heures par jour, déplore le Dr Rossi. La majorité des troubles psychotiques, et les troubles obsessionnels compulsifs, par exemple, sont aussi dus à un excès de dopamine dans certaines régions du cerveau. »


Pour moduler la dopamine, il faut délaisser les écrans, bien manger, bien dormir, et faire de l’exercice. Des recommandations de base que doivent émettre les pédopsychiatres… sans que les patients s’y opposent. Les troubles de l’opposition avec provocation, que nous explique le Dr Rossi ci-dessous, sont fréquents. Et parfois dévastateurs.


Retrouver le contrôle

Rogerio Diaferia Rossi a aussi été témoin d’une forte hausse des troubles alimentaires, chez les garçons comme chez les filles. De mars 2020 à février 2021, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a observé un bond de 122 % des hospitalisations des 12-17 ans pour troubles alimentaires, par rapport à la même période l’année précédente.


Privés du contact quotidien avec leurs amis, les adolescents ressentent une sensation qu’ils qualifient de « vide intérieur ». Ayant l’impression de ne plus avoir de prise sur leur vie, les ados contrôlent ce qu’ils peuvent : leur apport alimentaire. Le problème dégénère parfois en affaire familiale.


« Au début de la pandémie, nous avons rencontré des parents qui ne voulaient pas suivre les recommandations de base. Ils avaient l’habitude qu'un cadre soit fourni par l’école. Ils trouvaient normal qu’un enfant mange une fois par jour parce que celui-ci voulait perdre du poids. On parle d’enfants si maigres qu’ils étaient à risque de complications cardiaques. »


À contrecœur, le Dr Rossi et son équipe ont dû signaler des cas à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ).


La seule solution : l’hospitalisation

La charge de travail de l’équipe de pédopsychiatrie est rapidement devenue très lourde. Pour la clientèle adolescente seulement, la demande de consultation a augmenté de 60 %.


Tout cela dans un climat d’urgence et avec une équipe réduite. Sur les neuf postes de pédopsychiatre du Centre hospitalier Pierre-Janet, seulement quatre sont occupés.


À cause des risques de contamination, les ateliers tenus en parallèle ont été interrompus : les groupes de thérapie, les groupes d’habiletés sociales, les camps de jour.


« Nous n’avions d’autre choix que de proposer l’hospitalisation en interne. »


Le centre hospitalier compte une unité pour les 0-12 ans (6 lits), et une autre pour les 13-18 ans (10 lits).


Cette année, les 16 lits ont été occupés tous les jours.


Un rapport de l’INESSS confirme que dans tout le Québec, plus d’adolescents ont été admis aux urgences pour un troubles anxieux et pour un épisode dépressif en janvier et février 2021 par rapport à la même période l’année passée.

Adapté de : COVID-19 : regard sur la fréquentation des urgences par les adolescents pour certaines problématiques de santé mentale et psychosociale, INESSS, 2021.


À cause de la pandémie, les sorties de fin de semaine pour les patients sont suspendues, tout comme les visites. Les jeunes ont donc été séparés de leur famille pendant des semaines ? « Parfois pendant des mois » laisse tomber le Dr Rossi, encore ébranlé.


Des séquelles à long terme ?

Quand on demande au pédopsychiatre si les troubles plus graves vont disparaître avec la pandémie, il affiche un air inquiet.


« J’ai bien peur que la prochaine année scolaire soit compliquée. »


Des enfants ont pris du retard à cause de leur hospitalisation. D’autres ont dû redoubler leur année. D’autres encore vont trouver la barre haute quand les évaluations ne se feront plus avec l’indulgence dictée par la pandémie. Il ne serait pas étonnant que le rattrapage scolaire soit une grande source de stress.


À plus long terme, c’est toute une vague d’adolescents qui pourraient vivre avec des troubles de personnalité.


« On peut être anxieux, sans que cela soit un trouble. Mais avec la pandémie, certains traits se cristallisent, s’inscrivent dans la personnalité. Ça risque de donner des gens moins adaptés pour fonctionner. »


Le Dr Rossi a tout de même confiance que les choses vont finir par se stabiliser. Il est prêt à se retrousser les manches et à créer de nouveaux groupes de psychothérapie pour faire face aux difficultés post-pandémie qui se pointent déjà. « De multiples défis nous attendent. Nous, on va s’adapter. On va traverser tout ça. »

 

À propos de Rogerio Diaferia Rossi

En plus d’exercer comme pédopsychiatre au Centre hospitalier Pierre-Janet dans la région de Gatineau, Rogerio Diaferia Rossi est professeur clinique de psychiatrie à l’Université McGill, membre du Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada, ainsi que médecin psychiatre de l’enfance et l’adolescence au Centre intégré de santé et des services sociaux de l’Outaouais.

 

Catherine Hébert

Rédactrice scientifique

catherine.hebert.6@umontreal.ca


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