Croissance économique et course folle à l’extractivisme
Tendances de 1750 à 2010 des indicateurs de développement socio-économique agrégés à l’échelle mondiale. Tiré de Steffen et al., 2015.
La photo incluse plus haut représente bien sûr la Terre photographiée par l’équipage de la mission Apollo 17 en 1972. Pris à 47 000 km de distance, ce cliché est devenu un des plus connus de l’histoire. Et pour cause, à l’époque, le mouvement environnemental prenait son envol avec la tenue du premier sommet de la Terre à Stockholm en juin 1972. Cependant, c’est surtout la prise de conscience de la finitude de notre planète qui frappa les esprits à l’époque. « Tout à coup, dans cette image, notre planète semblait minuscule, vulnérable et incroyablement solitaire dans la grande noirceur du cosmos. » (Petsko, 2011. Traduction libre).
Le début des années 70 vit également la fin de ce qu’on a appelé « Les Trente Glorieuses » (1945-1973). Même si en Europe ce renouveau économique n’était pas lié au début à un modèle à suivre, celui de l’American Way of Life, mais surtout à la nécessité de reconstruire les infrastructures et à faire repartir l’économie, c’est vers la fin des années 50 que le « vieux continent » rentra réellement dans le modèle de la consommation de masse (Rosenberg, 2009). De nombreux pays occidentaux, incluant le Canada, affichaient des taux de croissance de 5 %, parfois plus pour certains. À noter que pour certains auteurs, cette période devrait plutôt être nommée « Les Trente Ravageuses » ou les « Trente Pollueuses ». Pour de nombreux économistes, cette triple décennie d’augmentation forte du produit intérieur brut (PIB) à l’échelle mondiale est encore perçue comme une période de grâce. D’un point de vue scientifique, elle marque surtout la « grande accélération » de l’anthropocène, 1950 étant de plus en plus reconnue, comme l’année à partir de laquelle, « les courbes des indicateurs s’affolent » (Steffen et al., 2015)
Extraction mondiale de 4 catégories de ressources naturelles sur la période 1970-2010. Tiré de : UNEP. (2016). Global Material Flows and Resource Productivity.
En corollaire de cette croissance accélérée dans un monde fini, l’extraction des ressources naturelles explosa. Selon le récent rapport Global Material Flows and Resource Productivity du International Resource Panel (IRP), un groupe de scientifiques du Programme des Nations-Unies pour l’environnement, nous extrayons 3 fois plus de ressources naturelles qu’il y a 40 ans, passant de 20 millions de tonnes/an en 1970 à 70 millions de tonnes/an en 2010 (voir figure ci-dessus). De plus, selon différents scénarios de projection mentionnés dans le rapport de l’IRP, notre soif de ressources naturelles nous ferait extraire entre 50 et 150 millions de tonnes/an en 2050 et jusqu’à 190 millions de tonnes/an selon un autre modèle ! (page 33 du rapport). Nul besoin de mentionner que les dégâts environnementaux, sanitaires et sociaux de cette folie extractiviste sont catastrophiques, surtout dans les pays pauvres qui voient depuis longtemps leurs ressources naturelles pillées par les grandes puissances, favorisant la corruption tant dans les pays au sous-sol riche en matières premières que dans ceux dont sont originaires les entreprises minières ou extractives (lire à ce sujet Noir Canada et Paradis sous terre pour le secteur minier par exemple). Ces aspects seront traités plus en détail dans la 2e partie du billet.
La lithosphère n’est pas un puits sans fond
Vous connaissez peut-être cette citation de l’astrophysicien et vulgarisateur scientifique Hubert Reeves : « Nous sommes tous des poussières d’étoiles ». Nous pourrions dire la même chose des métaux présents dans la croûte terrestre, la partie de la lithosphère de laquelle nous extrayons les métaux ainsi que les énergies fossiles. En effet, les éléments présents sur Terre ont d’abord été créés durant les différentes phases de vie d’autres étoiles. Les éléments les plus légers, de l’hydrogène au fer, sont le résultat des étoiles les moins massives (comme le Soleil), alors que les éléments plus lourds sont créés grâce aux supernovae, les explosions liées à la mort des étoiles plus massives. Ils peuvent être créés également par l’intermédiaire d’autres événements cataclysmiques toujours reliés aux étoiles.
Donc, votre ordinateur, votre téléphone cellulaire, les métaux utilisés dans un appareil d’imagerie par résonnance magnétique, bref, tout appareil électronique existe en grande partie grâce aux étoiles. Ces métaux se sont retrouvés par la suite enfouis dans la croûte terrestre, pour être finalement extraits dans les mines partout sur la planète. Le problème, c’est que non seulement ils ne sont pas tous répartis de façon égale dans la croûte terrestre, mais que leur abondance respective varie énormément. Ainsi, l’or est environ 60 000 fois moins abondant que le cuivre et 20 millions de fois moins abondant que l’aluminium, le métal le plus abondant. D’autres métaux stratégiques sont plus abondants que l’or, mais beaucoup moins que le fer par exemple.
Abondance relative des éléments chimiques dans la croûte continentale supérieure de la Terre en fonction du numéro atomique. Les éléments de terres rares sont marqués en bleu. (US Geological Survey, 2005)
Ce qu’on appelle toujours aujourd’hui les éléments des « terres rares » font partie d’un groupe d’éléments possédant des propriétés voisines. Ils sont relativement abondants, mais justement à cause de leurs propriétés chimiques, il fallut attendre les années 50 (à la suite du projet Manhattan) pour voir émerger des technologies de séparation efficaces après l’extraction des minéraux contenants des éléments de ce groupe du tableau périodique. Le problème, c’est que leur extraction et leur traitement sont très dommageables pour l’environnement, la santé et ont des répercussions sociales graves. Autre point et non des moindres, un pays, la Chine, détient 90 % de la production de terres rares. Ses dirigeants ont pendant plusieurs années imposé des quotas à l’exportation, avant de céder face aux pressions de l’OMC. Autant dire que ces métaux sont hautement stratégiques, puisqu’ils sont utilisés dans de nombreuses technologies, comme les aimants permanents au Néodyme (appareils IRM, éoliennes), les voitures électriques, les téléphones intelligents, certaines lampes performantes, etc.
Cependant, comme mentionnées plus haut, la croissance exponentielle de la population et les innovations technologiques ont fait doubler en 40 ans la quantité de minerais métalliques extraits à l’échelle mondiale. Nous nous dirigeons donc vers des pénuries de certains métaux stratégiques et ceci non seulement en partie à cause de leur raréfaction, mais aussi parce que leurs conditions d’extraction et d’exploitation les rendent très sensibles à la demande croissante. Très récemment, une équipe de recherche de l’Université Yale a quantifié, grâce à une méthode novatrice, la disponibilité future de l’ensemble des métaux du tableau périodique des éléments. (si vous n’avez pas accès à l’article complet, voici un résumé de l’Université Yale). Il en ressort que certains métaux utilisés tant dans les téléphones cellulaires que dans certaines technologies médicales ou les voitures électriques sont très vulnérables vis-à-vis de leur disponibilité. Soit à cause de leur faible concentration, soit à cause des impacts environnementaux de leur exploitation ou encore suite à de possibles tensions géopolitiques. De plus, certains métaux n’ont pas de substituts en cas de pénurie. Finalement, Thomas E. Graedel et son équipe mentionnent que certains métaux ne sont pas recyclables parce qu’ils sont présents en infime quantité dans les appareils comme les téléphones cellulaires. En d’autres mots, nous les gaspillons. Ce qui a demandé des milliards d’années à la nature pour être créé, pourrait être gaspillé en quelques dizaines d’années, un siècle tout au plus.
Jérémy Bouchez
RÉFÉRENCES
Abraham, Y. M., Murray, D. (2015). Creuser jusqu’où? Extractivisme et limites à la croissance. Montréal : Écosociété.
Deneault, A., Sacher, W. (2012). Paradis sous terre. Comment le Canada est devenu la plaque tournante de l’industrie minière mondiale. Montréal : Écosociété.
Graedel, T. E., Harper, E. M., Nassar, N. T., Nuss, P., & Reck, B. K. (2015). Criticality of metals and metalloids. Proceedings of the National Academy of Sciences, 112(14), 4257–4262. http://doi.org/10.1073/pnas.1500415112
Petsko, G. A. (2011). The blue marble. Genome Biology, 12(4), 112. http://genomebiology.biomedcentral.com/articles/10.1186/gb-2011-12-4-112
Rosenberg, E. S. (2009). Le « modèle américain » de la consommation de masse. Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique. http://chrhc.revues.org/1809
Steffen, W., Broadgate, W., Deutsch, L., Gaffney, O., & Ludwig, C. (2015). The trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration. The Anthropocene Review, 2(1), 81–98. http://doi.org/10.1177/2053019614564785
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